Une douce matinée chez Aurélie Dorard
L'empreinte de la main
PHOTOGRAPHE: JUDITH VIBERT-GUIGUE
L’année 2016 commence fort, sous le signe de nouvelles aventures et de rencontres. Pour nous, elle s’annonce riche cette nouvelle année !
Nous avons rendez-vous à 10h à Bagnolet, chez Aurélie Dorard, dans sa petite maison atelier. Au bout d’une toute petite allée, nous poussons une porte en fer forgé et pénétrons son univers. A partir de cet instant c’est comme si le temps s’était arrêté, on est ailleurs, un peu hors du temps, hors de Paris déjà, plongés au cœur de la création et du travail à la main. Les deux heures que dure notre visite, filent à toute allure. Tout en guidant Andréa qui travaille avec elle à l’atelier en ce moment, elle peaufine la finition des pièces en cours et répond à nos questions curieuses.
Comment es-tu venue à la céramique ? Tu veux bien nous raconter ton histoire ?
J’ai toujours été super manuelle. Je voulais bosser en animation à la base, faire de la scéno, du décor. Et puis un peu par hasard, j’ai très vite trouvé un job après mon école de graphisme, dans une grosse agence. C’était rigolo, je faisais les projets événementiels, ludiques, tous les boards de tendance. C’était super sympa mais j’avais déjà bifurqué par rapport à mes envies premières d’étudiantes. Et je bossais beaucoup devant un ordi !
Une autre vie a commencé alors. J’ai eu une librairie spécialisée dans le graphisme. Pendant 8 ans !
Nous avions trois espaces, des salariés. J’ai continué à bosser en agence les deux premières années et après j’y ai travaillé à temps plein. C’était une super aventure. J’ai fait ça avec mon mec, et puis lui a monté une boite qui se développait bien et du coup il avait moins le temps pour la librairie. J’étais beaucoup sur place, je gérais beaucoup la partie immergée de l’iceberg, les plannings, les salariés, les commandes… et je passais à nouveau beaucoup de temps devant un ordi ! Nous étions très spécialisés donc c’était très intéressant mais un boulot de fou en termes de logistique. C’était très compliqué car nous étions jeunes et avions deux enfants. On ne s’arrêtait jamais en fait. Mais on était passionné.
Au fur et à mesure j’ai eu vraiment envie de revenir à un truc plus créatif. Je baignais dans la création, mais je ne créais pas moi même, et ça me manquait. J’avais envie de travail manuel, d’être dans un atelier.
La céramique t’en avais déjà fait avant ?
Je faisais de la céramique depuis plusieurs années en cours du soir. C’était mon activité loisir. Je faisais beaucoup de stages, dès que j’avais une semaine de vacances je m’y consacrais. J’ai tout de suite accroché et c’est devenu mon projet.
J’ai arrêté mon job, j’ai continué pendant un an à faire des sélections de bouquins et magazines pour une grosse agence de pub, ce qui m’a permis de travailler à mi temps et de me former à fond à la céramique, chose qui me manquait un peu.
On avait emménagé ici, je savais que je pouvais avoir un atelier, mais j’avais déjà fait le choix d’en faire ma vie. Je savais que je voulais faire de la céramique, j’en aurais fait de toutes façons, j’avais déjà fait ce choix là. Après il fallait trouver la forme.
Le côté cours c’est quelque chose qui m’intéresse aussi. J’ai commencé à donner des cours dans une association avec des enfants. Mais c’est autre chose. Un autre rapport à la terre. Le temps s’arrête, tu es vraiment dans l’instant présent, à partager le moment de la création.
Alors tu as décidé de créer ton entreprise, ta marque, autour de céramiques fonctionnelles ?
Oui, ça me plait beaucoup cette idée de tourner autour de l’utilitaire.
J’avais envie de ça, j’ai commencé comme ça pour moi, à faire ma propre vaisselle. Et j’aimais bien. Je trouve ça super d’avoir des objets faits à la main, qui t’accompagnent au quotidien, avec une histoire, je trouve ça assez magique en fait. C’est quelque chose que j’aimais déjà avant.
Je fais des pièces fonctionnelles, mais ça ne les empêche pas d’être uniques finalement. D’ailleurs je mets beaucoup de moi-même et d’affect dans ce que je fais, et parfois je n’ai pas du tout envie de m’en séparer !
Heureusement maintenant il y a la magie d’Instagram, qui permet de capturer des instantanés de la vie de l’atelier, de saisir mes pièces sur l’instant avant qu’elles s’en aillent, et ensuite de les voir vivre chez les autres.
J’adore ! Je trouve ça génial. C’est la récompense de voir vivre mes pièces chez les gens. De voir qu’elles sont là, qu’elles servent.
« Il y a un renouveau de la céramique. Les gens ont envie de choses faites à la main. De petites productions. On a envie de connaître l’origine des produits, de ce qu’il y a dans notre assiette, et par extension on a envie de savoir d’où viennent nos assiettes ! L’envie du fait main c’est quelque chose de très présent aujourd’hui je pense. »
« Avoir de la belle vaisselle ça joue sur la table, ça donne plus envie de manger. C’est une envie de choses plus essentielles, plutôt que des choses de masse. C’est un peu un antidote face à l’ère du virtuel, c’est rassurant, car c’est là. La céramique ça traverse le temps. »
Comment définirais tu ton travail, ton style ? Comment s’est-il imposé ?
Mon style est venu naturellement. Je me nourris de pleins de choses et je pense que mes pièces me ressemblent. J’ai pleins de sources d’inspiration. Il y a plusieurs parties dans mon travail. J’ai commencé avec des choses illustratives ou figuratives, qui peuvent raconter des histoires. Et puis, plus j’ai découvert la matière, plus j’ai eu envie d’aller vers des choses simples, vers des jeux de contraste, de texture, où la matière puisse parler elle-même, avec des sensations de prise en main. J’essaie de créer des choses qui libérent une émotion ou des sentiments un peu magiques.
Je crée des choses douces qui font rêver. Par le côté simple et brut de jeux de matière. Par un côté un peu onirique. C’est là qu’est la continuité. Les pièces peuvent raconter une histoire sans être figuratives.
J’aime qu’on sente l’empreinte de la main, je pense que c’est ce qui caractérise le mieux mon travail.
Tu veux bien nous raconter l’histoire de tes pièces?
Alors, Calypso c’est né de l’envie de créer cette idée de la rencontre entre la terre brute et la brillance de l’émail. La première source d’inspiration c’est la nature. Très souvent c’est ça. Ici l’inspiration c’est la rencontre entre la terre, l’eau, la pierre, et la brillance de l’eau ou de la rivière. Je suis partie là dessus.
Et comment ça te vient ? Comment te vient l’inspiration ?
C’est hyper dur de savoir comment ça vient. Je dessine beaucoup déjà. Et puis parfois tu réfléchis tu réfléchis, et puis d’un coup tu te réveilles le matin, et tu sais ce que tu vas faire. C’est un travail assez solitaire, donc tu es souvent seul face à toi même, à réfléchir en même temps que tu bosses. Ensuite je connais mes matières, j’ai une palette, je sais les matières que j’aime et après je vois ce qu’elles peuvent évoquer en moi, faire ressortir en moi, comment je vais pouvoir les associer ou créer une forme qui va évoquer telle ou telle chose, en tout cas pour moi. J’ai trouvé amusant d’imaginer, le ciel avec la terre. Les nuages avec la terre. La nuit tomber sur la terre.
Avec les Polen j’ai cherché des manières différentes de faire, de trouver des choses qui n’existent pas. Tu peux toujours faire des nouvelles formes, des nouveaux émaux, des nouvelles couleurs. Là c’est différent. J’avais hyper envie d’avoir cette poudre brute et de la faire contraster avec la brillance et la blancheur de la porcelaine. Je savais exactement ce que je voulais faire, et c’était assez compliqué de trouver comment le faire. Donc j’ai fait pas mal de recherches et de tests. Je suis contente du résultat. C’est assez unique. Ce n’est pas du dripping. C’est autre chose. Je pourrais presque faire que ça. Certains céramistes font toute leur vie les mêmes pièces, en faisant des gammes autour. C’est intéressant car tu pousses le truc dans ses retranchements.
Moi finalement, ça ne fait pas tant de temps que je fais ça, ça fait deux ans à 100%. Peut être que dans dix ans j’aurai choisi d’éliminer telle terre et de pousser un procédé. La terre est une matière qui pousse à ça. A explorer et aller au fond des choses. Parce qu’avec la terre c’est infini, tu peux tout imaginer, c’est ça qui est génial, passionnant, hyper riche. Il y a des gens qui ne travaillent que la porcelaine, ou que le grès… Moi j’aime tout, j’ai du mal à faire des choix ! Je travaille le grès et la porcelaine et je ne pourrais pas choisir entre ces deux terres, elles ont toutes les deux des qualités complémentaires. Je trouve qu’elles révèlent toutes les deux des choses différentes mais belles.
Pour revenir aux Polen, je ne dois pas dire exactement comment je les fais ! Mais je dépose de la poudre d’oxyde et ce que j’aime beaucoup c’est ce côté aléatoire. Quand je fais la pièce, j’ai une idée de comment ça va sortir, mais j’aurai toujours la surprise quand j’ouvre mon four de voir dans quelle proportion les bleus vont être là par rapport aux jaunes, à quel endroit exactement ils vont être positionnés. Quand je la fabrique je ne maitrise pas à 100% comment la poudre est positionnée. Si j’avais une pièce à pousser ce serait celle là, car son caractère aléatoire est fascinant.
« Avec la céramique tu n’as jamais fini en fait. Tu peux apprendre toute ta vie. Je pourrais continuer à explorer tous les jours. »
On ressent beaucoup d’excitation et de joie dans ce que tu décris, et tu parles de surprise. Quelle partie du processus de création te donne le plus de plaisir ?
Quand j’ouvre mon four ! C’est magique ! C’est comme des petits pains tout chauds qui sentent bon. Souvent d’ailleurs je me brûle les doigts et je pense que je ne suis pas la seule céramiste à me brûler les doigts car j’ai hyper hâte d’arriver à l’étage du dessous pour voir comment les autres pièces vont sortir. C’est la surprise.
Tu as des projets pour 2016 ?
J’ai pleins de projets ! J’aimerais bien faire pleins de nouvelles pièces ! Avoir plus de temps pour dessiner, pour tester, pour créer. Ce qui m’intéresse le plus c’est être un artisan et pas juste un chef d’entreprise. Pourtant c’est une entreprise, mais ça me tient vraiment à cœur de garder les mains dans la terre et que ce soit la chose principale de mon quotidien.