Ecole de poterie du Fayoum
Eveil d'une communauté et renaissance d'une tradition céramique
Les enfants du Fayoum apprennent depuis 30 ans un savoir-faire mais se découvrent aussi une passion. Aujourd’hui vingt d’entre eux sont installés dans le village en tant que potiers et font vivre leur famille. Leur joie et leur satisfaction à exercer leur métier créent une émulation entre les potiers. Tous savent d’où ils viennent et ce qu’ils doivent à l’école, et gardent un rapport d’égalité et d’entraide vis à vis des nouveaux apprenants.
Comment votre histoire avec le Fayoum a t-elle commencé ?
Lors de son premier séjour en Egypte, Evelyne s’est fait construire une maison au Fayoum. Un endroit magnifique près d’une métairie, à l’époque ce n’était même pas encore un village. En 1967 la guerre éclate et elle doit partir. Nous y sommes revenus en 1976 avec nos enfants pour y passer l’hiver et finalement nous y installer définitivement un an plus tard.
A ce moment là au Fayoum il n’y avait rien. Ni eau, ni électricité, la maison avait été pillée et les routes étaient encore inexistantes. La maison ayant été construite avec la technique de voûte en pierre utilisée dans les cimetières et les tombes, par superstition elle n’avait pas été squattée. C’était notre chance. Nous faisions de la céramique depuis notre adolescence et ces dernières années nous cuisions au grès dans des fours à bois. A l’époque c’était quelque chose de très nouveau ! Nous venions de là et nous voulions continuer à faire du grès en Egypte. Mais les ressources naturelles nécessaires à la haute température manquaient et nos pièces ne collaient pas esthétiquement avec l’environnement.
Nous avons expérimenté plein de choses et puis un jour, en aidant un ami à construire un four chez lui dans le delta, j’ai émaillé les pièces avec de la fritte (un fondant mélange de soude et de silice qui permet de faire une glaçure non-soluble et qui est la technique de base de la céramique du moyen-orient ). Le résultat a été évident. Pour la première fois ici, sortait de la cuisson quelque chose qui était dans l’esprit du lieu. On est revenu à ce que signifie faire de la céramique: on regarde ce qu’il y a autour de soi, l’argile, le sol, les ressources, et on crée à partir de cela.
Quand on est arrivé en Egypte, la tradition de céramique islamique avait quasiment disparu. A la fin du 13ème siècle, les turcs arrivés en Egypte ont tué la production céramique locale pour importer leur céramique d’Iznik. Seule la poterie paysanne était restée.
Quand nous sommes arrivés au Fayoum nous n’avions rien. Nous avons donc tout fabriqué et notre céramique nous servait au quotidien. A l’époque déjà les enfants du village venaient à l’atelier. Dans les champs, ils ramassaient la terre et modelaient des bonshommes instinctivement. Quand Evelyne a concrétisé l’idée de l’école, nous avons sollicité le gouvernement égyptien qui nous a aidés en nous donnant un terrain. Tout a été construit en terre, avec l’argile sur place et les maçons locaux. C’est dans ce lieu que l’école a pris racine.
L’histoire de l’école du Fayoum c’est donc aussi l’histoire d’une renaissance ?
Oui, avec Evelyne et l’école nous avons gardé les fondamentaux de la céramique :
- nous fabriquons notre terre
- nous fabriquons notre émail à partir d’une fritte préparée au vieux-Caire
- nous cuisons au mazout à basse température, mais nous montons plus haut (1150°) que la céramique vernissée traditionnelle (980°) – ce qui la rend plus solide
Ensuite à l’école nous n’avons pas dit aux enfants ce qu’ils devaient faire. Le fonctionnement de l’école a toujours été très libre, c’était le principe fondateur. Il n’y a jamais eu d’horaires par exemple. Tout au plus avons nous orienté leur travail avec des ouvrages, des images, en leur donnant la possibilité de s’ouvrir aux motifs traditionnels de la céramique islamique, en les stimulant. Bien sûr, les élèves se copient les uns les autres et aujourd’hui dans le village tous les ateliers se ressemblent un peu, mais n’est ce pas comme ça qu’une tradition émerge aussi ?
Vous étiez céramistes tous les deux, comment avez-vous nourri le style de l’école du Fayoum, comment celui-ci a t-il influencé votre travail ?
Ce que nous faisons s’est toujours défini comme une poterie utilisable plus qu’utilitaire. Nous fabriquons des objets qui nous accompagnent dans le quotidien mais qui sont aussi beaux seuls en tant qu’objets. Notre céramique s’adresse au sentiment, au cœur. Elle est nécessairement influencée par le milieu dans lequel on vit.
Même si notre céramique est reconnaissable je pense, nous n’avons jamais aimé l’idée d’être enfermé dans un « style ». Nous avons toujours voyagé et puisé dans toutes les traditions, dans toute l’histoire. Quand on est disponible pour elle, la terre imprime beaucoup du caractère de la personne. Tout ce qu’on est, se fixe dans ce matériau. Pour autant nous n’avons jamais eu le culte de la personne Evelyne et moi. Nous fabriquons des poteries ; tantôt nous nous en servons, tantôt nous les exposons ou les vendons.
Les enfants ont fait bouger les lignes chez Evelyne je pense, mais pas chez moi. Sur le plan technique nous leur avons beaucoup apporté car nous avions nous même beaucoup expérimenté. Leur capacité d’apprentissage est extraordinaire et ils ont une bien plus grande aisance physique, propre aux paysans. Ils tournent encore au tour à pied !
Aujourd’hui la mission de l’école est accomplie. Angelo, notre fils, a repris la gestion de l’école qui devient un lieu de formation et de stage pour des céramistes amateurs ou confirmés, et le lieu de production des enfants du village. Le centre céramique est connu dans le monde entier, nous avons créé un festival, des potiers étrangers viennent se perfectionner. C’est un lieu de rencontre où nous insufflons encore notre passion et notre expérience. Mais la plus belle réussite d’Evelyne avec mon aide, est d’avoir offert un autre avenir et une passion aux enfants du Fayoum. Cette histoire nous parle d’une renaissance artistique mais aussi comment elle rayonne sur une société, éveille les mentalités et les sensibilités, et contribue au développement économique d’une communauté –
Note : l’entretien téléphonique a été mené le 17 mars 2021 avec Michel Pastore, quelques mois avant la disparition d’Evelyne Porret.