La Borne s’enflamme
Rencontres autour de la cuisson céramique au bois, Les Grands Feux 2019
Reportage: nous x Le Centre céramique contemporaine La Borne
Photos: Anne-Claire Héraud
Entre les deux routes principales s’organise un entrelacs de maisons, de petits bois et de cheminées qui crapotent ça et là, tantôt le feu d’une maison, tantôt celui d’une cuisson. Au milieu de la brume et des fumées une certaine magie opère. C’est un village du monde. Tout le monde se connaît, mais très peu viennent d’ici et les nationalités se mêlent les unes aux autres. Américains, suédois, français, allemands, australiens, italiens… tous les chemins mènent à la Borne dirait on. Tous les chemins de la cuisson au bois en tout cas.
Dans le village il y a « le Centre » comme on l’appelle dans le coin et ce n’est pas pour rien. Le Centre Céramique de La Borne avec qui nous réalisons ce reportage sur l’édition 2019 des Grands Feux est un haut lieu de la promotion et de la diffusion de la pratique céramique contemporaine. Nés dans les années 70 sous la forme de symposiums, les Grands Feux existent sous cette appellation depuis 2015. Ces rencontres internationales permettent depuis 40 ans à des potiers du monde entier, amateurs ou professionnels, de partager une cuisson au bois dans un esprit convivial et festif. Au delà d’un événement c’est surtout un esprit qui perdure, celui de la rencontre et du partage. Ensemble pendant une petite semaine on se relaie nuits et jours autour du four pour enfourner les pièces, charger le bois, surveiller le feu et la température, mais aussi écouter de la musique, partager un bol de soupe.
Centre névralgique de passionnés de la terre et du feu, La Borne attire tous ceux qui un jour, pour une raison ou une autre veulent cuire au bois. Il n’y a pas d’autres endroits en Europe qui représentent une même concentration de fours à bois et donc de savoirs, d’expériences et d’intérêts pour la cuisson au bois.
Hervé Rousseau est arrivé là en 1980 grâce à une petite annonce montrée par un copain. « Atelier avec four de Sèvres à louer ». Il n’avait jamais cuit au four à bois. Six ans plus tard il construit son propre four Noborigama à plusieurs chambres. Il n’en a pas changé depuis. Son four a 33 ans, c’est sa 92ème cuisson aujourd’hui, il est comme un ami. « Il ne m’a jamais déçu. C’est un rythme très lent de production, on produit très peu mais ça occupe déjà beaucoup. » Pendant les Grands Feux il invite ses amis pour partager une cuisson au bois de quatre jours. Une équipe se compose, d’amateurs et de curieux, jeunes et moins jeunes, qui se relaient autour du four pour charger le bois et surveiller le feu nuit et jour.
Tous sans exception sont quasiment entièrement et physiquement animés par la cuisson au bois, et quand on est novice, il y a quelque chose de très mystérieux, presque initiatique à cette ivresse. Jeltje Borneman, elle, découvre La Borne en 2003 par un stage de cuisson au bois en tant qu’amatrice enthousiaste. Architecte navale au Pays-Bas, elle retourne à La Borne en 2007 puis chaque année à partir de là, prise par la puissance du lieu, avant d’y acheter sa maison en 2014 dans laquelle elle construit son four 3 ans plus tard. Aujourd’hui Jeltje vit à La Borne la moitié de l’année, cuit au sel et au bois et donne des stages. « Avec la cuisson au bois, on peut diriger, avoir beaucoup de connaissance, mais finalement c’est le feu et l’atmosphère qui décident. C’est aussi La Borne qui fait les pièces. Pour moi c’est ça la magie de ce lieu. »
Il y a de la magie et du décalage à La Borne. La cuisson au bois, c’est aussi être en décalage avec une certaine vision du monde d’aujourd’hui. Tous s’accordent pour le dire : c’est un rythme, une proximité avec la nature mais aussi une manière de vivre et de faire les choses à sa façon. Pour Frans Gregoor arrivé à La Borne en 2014 c’est tourner… à l’envers. Avec un tour fixé au plafond, il façonne ses grandes pièces en les faisant « descendre ». Pour Jean Guillaume c’est rester fidèle à lui-même et à ce qu’il aime: l’humour, la couleur, le décalage justement. « J’ai travaillé avec des autistes pendant 7 ans et j’étais comme un poisson dans l’eau parce que j’étais avec des gens complètement en décalage. »
A la Borne, la tradition potière remonte au 16ème siècle. De nombreux ateliers y produisaient des pièces utilitaires, depuis la vaisselle jusqu’aux matériaux de construction. Avec la découverte de nouveaux matériaux puis la première et la seconde guerre mondiale, les ateliers ont petit à petit disparu. Pourtant le village survit et même revit. Dans les années 40, de nombreux artistes investissent les lieux et produisent. Parmi eux Jean et Jacqueline Lerat, Vassil Ivanoff, André Rozay, Jean Linard… Ils attirent des potiers de tous les pays, entretiennent cette passion pour la cuisson au bois, l’enrichissent de leurs découvertes en Orient. Dans les années 60 d’autres élèves des Beaux Arts de Bourges perpétuent la tradition et à la fin des années 70 le premier symposium est créé.
Claire Linard est une fille du cru. Fille et petite-fille de potier, elle a arrêté les études à 16 ans pour se former auprès de son grand-père Jean Linard. Elle représente la jeune génération, la nouvelle garde. Soucieuse de préserver l’héritage dans un contexte radicalement différent de l’époque de ses parents et grand-parents, elle cherche à donner une nouvelle vie à l’immense atelier familial construit autrefois pour la fabrication de matériaux de construction (pavés, carrelage, tuiles…). « L’atelier est en réflexion. Il y a de la place pour accueillir du public, faire des formations, des résidences… et il faut s’entourer d’une équipe. Quand on choisi ce métier on choisit un mode de vie, on choisit une démarche où on est proche de la terre, on crée des choses. Parfois c’est un rêve, parfois c’est très difficile, comme partout on a des obligations, il n’y a pas d’idéal mais c’est un vrai choix de vie. Je n’ai pas du tout la même vie que mes parents et grands parents. Ca a beaucoup changé. Quand ils sont arrivés dans les années 60 tout était possible. La céramique a beaucoup évolué. C’est toujours le même travail, c’est toujours la même terre mais tout est très différent. A l’époque ils faisaient des pots et tout se vendait. Nous on doit éduquer les gens, leur expliquer pourquoi un bol se vend 15, 25, 40€, ce que ça raconte, ce qu’il y a derrière. Si la Borne en est là aujourd’hui c’est grâce à leur génération et aux précédentes. Ils se sont battus pour leurs valeurs, leur manière de vivre, leur goût de la céramique, leur art. Mais il y a aussi une nouvelle génération qui arrive. Pleins de jeunes cuisent avec nous, c’est un plaisir de voir cet échange. »
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