Rencontre avec Antonis Cardew

Créateur amoureux du bois

PHOTOGRAPHE: MAGALI PERRUCHINI

A
ntonis Cardew est ébéniste et tourneur, créateur amoureux du bois surtout. Nous avions d’abord entendu parler de son travail par des clients amoureux de beaux objets. Nous avons tenté à l’improviste de le rencontrer dans son atelier d’Ivry et puis nous sommes allés voir son travail exposé pendant les Journées Européennes des Métiers d’Art dans une superbe mise en scène épurée et rustique. Ca transpirait le bois, comme il aime le dire lui-même. Il est devenu très clair qu’il y avait une sacrée âme derrière tout ce travail, et qu’il fallait aller à sa rencontre. C’est ce que nous avons fait tôt un matin de la mi mai, accompagnés de notre photographe chouchou, Magali Perruchini, également journaliste et auteure du livre Nouveaux Artisans.

Nous vous livrons ici notre reportage photo accompagné d’extraits reconstitués de notre échange plutôt passionné dans son atelier à Ivry sur Seine.

A PROPOS DU TRAVAIL AU TOUR

Mes principaux clients aujourd’hui sont les architectes et les particuliers. Pour eux je réalise tout type de mobilier et projets d’ébénisterie, depuis la création d’une chaise jusqu’à la charpente en passant par une table, une salle à manger, un escalier… C’est ce qui fait tourner la société. Ces projets peuvent durer entre quelques jours et deux mois. Entre deux projets je tourne. Et je m’échappe en Normandie, j’adore la campagne. C’est là que je trouve les plus beaux bois.

Le tour c’est autre chose. Au tour on a un morceau de bois que l’on transforme immédiatement en objet. On peut avoir beaucoup de satisfaction très rapidement. Il y a une forme d’impatience ; c’est ce que j’aime.

C’est très restreint aussi le tour et j’ai toujours aimé les limites. J’ai beaucoup de choix avec l’atelier bien équipé que l’on a ici, alors que dans la salle de tour on doit imaginer un objet rond immédiatement en trois dimensions.

Je passe beaucoup de temps à expérimenter, à faire des choses que je ne savais pas faire avant, et que je ne referai plus. C’est de la découverte en permanence, je change mes techniques tout le temps. D’une table à l’autre, d’une assiette à l’autre, j’explore des façons de faire très différentes. J’encourage l’individualité d’une pièce.

A PROPOS DES ASSIETTES

J’essaie de dire quelque chose avec les assiettes.

L’assiette est quelque chose que j’essaie de dire par rapport au bois. Je suis très très bois et je veux emmener le bois dans le quotidien. Je veux que ça exsude, je veux que les gens abusent l’objet, qu’ils le consomment chez eux tous les jours. Je veux que l’on ose user le bois. Nous sommes faits de ce que nous consommons et avec mes assiettes, c’est cette écologie, cette intimité avec l’environnement que je veux retrouver. Je pense que c’est une approche assez unique.

Quand on achète une table aujourd’hui, il faut que ça brille, que ce soit parfait. Le meuble est devenu un symbole de valeur. Ce que je veux dire avec mes objets c’est justement qu’ils doivent vivre, s’user. C’est là qu’ils prennent leur valeur et non pas dans le précieux d’un objet bien dessiné, bien fini, parfait, immuable. Une table doit vivre et se patiner. La patine c’est la vie ! Quand une table sort d’un magasin elle est morte. Dès que vous la tâchez, vous la rayez etc, elle commence à vivre. C’est très japonais de penser comme ça – je passe beaucoup de temps au Japon. Bien sûr il faut que la table ait été bien dessinée et bien conçue pour survivre à la patine. Au Japon dans la philosophie wabi sabi, ce sont l’usure, les marques et l’empreinte du temps sur l’objet qui lui donnent sa valeur.

Avec l’assiette, l’usure et la patine sont obligatoires, c’est impossible de faire autrement. C’est ce qui me plait.

Le bois est souvent considéré comme une matière traditionnelle, mais en fait c’est la matière la plus futuriste ! C’est la seule matière entièrement renouvelable en architecture. Elle sera toujours là, elle pousse tout le temps et se renouvelle en permanence et elle fait pleins de boulots en même temps. C’est magnifique.

 

A PROPOS DE MON HISTOIRE

Je suis anglais par mon père, grec-italien par ma mère. Mes grands parents paternels étaient des intellectuels artistes hippies assez extrêmes des années 30, 40, 50, qui ont rejeté tout l’héritage familial pour aller vivre dans la campagne anglaise, faire de la poterie, enseigner, peindre, composer de la musique… Mon père, le dernier d’une fratrie de trois garçons, ne se retrouvait pas du tout dans cet univers. Il rêvait de voyage alors il a fui et il est devenu marin. Moi je suis né à Londres et j’ai grandi dans la campagne anglaise. J’ai passé trois ans à l’école en France quand j’étais petit et je suis revenu en Angleterre.

Quand j’étais enfant et que j’allais chez mes grands parents c’était comme un rêve ! J’étais enfin avec des gens qui font des vraies choses de leur main, avec des vraies matières, qui réinventent tout ce dont ils ont besoin, qui ont des vraies conversations… c’était tout ce que j’aimais.

Plus tard je me suis formé au graphisme aux Beaux Arts de Londres, pour apprendre un métier et gagner de l’argent. Une fois mon diplôme en poche, j’ai tout de suite réalisé que je ne pourrai pas faire ça. Il fallait que je crée et que je me tourne vers une matière à comprendre, à travailler. J’ai choisi le bois.

J’ai suivi une formation privée très avant gardiste pour le bois en Angleterre. C’était en pleine campagne, 12h par jour pendant deux ans, avec des cours le weekend, des conférences d’architectes, de designers qui venaient de Londres pour penser le futur du bois avec nous. On n’avait pas le droit de faire un objet traditionnel. On était obligé d’expérimenter. C’était très progressiste. Notre devoir à l’issue de cette formation était de donner un avenir à notre métier et à cette matière, pour qu’elle ne soit plus perçue comme matière traditionnelle.

Le bois est souvent considéré comme une matière traditionnelle, mais en fait c’est la matière la plus futuriste ! C’est la seule matière entièrement renouvelable en architecture. Elle sera toujours là, elle pousse tout le temps et se renouvelle en permanence et elle fait pleins de boulots en même temps. C’est magnifique.

On passe tellement de temps à étudier pleins d’autres matières, alors qu’elle est là, juste là.