Souvenirs du Japon, 13 Nov 2020

Expo-vente collective de 9 céramistes japonais

Assiette akiko tanino pour expo ceramique du japon

Crédit photo: Mai Takemoto

Q
uel est ce drôle de monde où les objets peuvent encore voyager quand nous en sommes privés ? Une centaine de céramiques du Japon ont traversé la planète par les mers ou le ciel à l’occasion de notre exposition «Souvenirs du Japon».

 

Il y a deux ans j’ai pu moi-même me rendre dans le village de Shigaraki au bord du lac Biwa et découvrir à la fois l’artisanat et la culture locale. Un émerveillement. J’ai rapporté dans mes valises une sélection de céramiques de deux potiers et les ai exposés à mon retour. La joie du voyage se prolonge et se transmet quand on en revient les bras chargés d’objets pour partager nos découvertes et faire vivre à l’autre un petit bout de voyage.

 

C’est dans cet esprit encore que nous proposons une deuxième exposition japonaise, intitulée Souvenirs du Japon. Les pièces choisies sont les souvenirs d’un voyage fictif organisé avec Mai Takemoto (@chacha_and_crafts)(3) qui a permis la rencontre avec 7 artisans répartis dans l’Archipel, exposés pour la première fois à Paris. A travers leurs objets ils participent eux aussi à un autre voyage aujourd’hui impossible.

 

En tant que « souvenirs » les objets portent l’expérience du pays, la rencontre de l’autre, la philosophie du voyageur et celle du pays qui l’accueille. Ils poursuivent le voyage imaginaire, ils sont la transition avec le retour à la réalité. Ainsi le voyage n’est pas terminé. Par l’usage que nous en faisons, les souvenirs émergent. Il y a dans ce processus une forme de nostalgie, d’envie de rester en « arrière ». Au Japon le terme nagori désigne cet état des choses. Il est la trace, la présence d’une chose passée, qui n’est plus. Quand il qualifie la saison, « il donne à percevoir le caractère éminemment fragile et précieux de cette transition d’une saison à une autre et nous permet de prolonger le moment de la séparation avec la saison qui s’achève »(1). C’est ainsi pour ces objets exposés qui ont, au creux, un trésor : le souvenir mais aussi la possibilité du voyage. Ils portent du vivant, un passage. « La véritable beauté, seul peut la découvrir celui qui mentalement a complété l’incomplet. La vigueur de la vie et de l’art réside dans ses possibilités de développement »(2).

 

En faisant naître des sentiments et des émotions, les objets très artistiques de Masahiko Yamamoto, permettent aussi à l’observateur de terminer l’œuvre. Son champ des possibles est infini et les propriétés plastiques de la terre l’entrainent au delà même de son esprit et de son intention. Le passage, la transition c’est un espace fugace, un vide à remplir. Il est caractéristique de la philosophie zen du Japon. « Le vide est tout puissant car il peut tout contenir » dit Kazuko Okakura dans le Livre du thé (2). Dans les vides des céramiques de Murakami Naoko et Shirai Ryuji et de Akiko Tanino, l’usager trouve un espace de suggestion pour compléter le travail de l’artiste. L’objet se patine et trouve sa beauté dans la marque du temps et de l’usure. Pour Shigeru Inoue et Mutsumi Ohashi le passage mène à la terre elle-même, terre brute, récoltée à la main, pleines d’impuretés qu’ils travaillent sans artifices révélant sa force et sa beauté. Les objets de Motoko Endo portent en eux le peuple et le courant Mingei conceptualisé par Sōetsu Yanagi. Leur esthétique populaire est caractéristique du courant mingei: ils sont simples, sincères et accessibles. Leur beauté réside dans leur caractère ordinaire et leur fonctionnalité. Le passage du savoir et du style Usukiyaki est assuré par les fondateurs du petit atelier, qui font ainsi revivre une tradition séculaire de la région. Plus qu’un souvenir c’est un témoignage d’une époque qu’ils perpétuent.

 

Aux sept céramistes japonais vivant au Japon invités à exposer, nous avons ajouté deux artistes japonaises vivant en France: Motoko Saigo et Mami Kanno. Le souvenir perd-il aussitôt sa substance quand il devient permanent ? Quand on a vécu de nombreuses années dans un autre pays, quelle part de l’origine se retrouve dans le travail de céramique japonaise ? Qu’ont apporté leurs liens avec la France ? Leur présence permet ce dialogue.

 

A travers ces objets, voyageons à travers le Japon et sa culture, remplissons nous et laissons décanter. « Aiguise ta sensibilité à la lumière, au vent et aux changements de saison » recommandait Rosanjin Kitaôji. Aiguisons notre sensibilité au fugace, à l’invisible. Les objets exposés portent en eux le nagori d’un autre monde, d’un temps et d’un espace qui ne sont plus. Contemplons les, touchons les et faisons les vivre. Ils sont les vestiges du jour.

 

(1) Ryoko Sekiguchi, Nagori, 2018

(2) Kazuko Okakura, Le Livre du thé, 1906

(3) www.instagram.com/chacha_and_crafts/

 

 

« En attendant, dégustons une tasse de thé. La lumière de l’après-midi éclaire les bambous, les fontaines babillent délicieusement, le soupir des pins murmure dans notre bouilloire. Rêvons de l’éphémère et laissons-nous errer dans la belle folie des choses.  »
Kazuko Okakura

Bol Motoko Saigo ceramique japonaise
Motoko Saigo

Exposition collective du 13 au 30 Novembre 2020

Akiko Tanino, Hayama, Kanagawa Prefecture, Japon
Motoko Endo, Machida, Tokyo Prefecture, Japon
Mami Kanno, Paris, France
Masahiko Yamamoto, Soni, Nara Prefecture, Japon
Murakami Naoko et Shirai Ryuji, Shigaraki, Shiga Prefecture, Japon
Mutsumi Ohashi, Minami-Alps, Yamanashi Prefecture, Japon
Motoko Saigo, Paris, France
Shigeru Inoue, Chiryū, Aichi Prefecture, Japon
Usukiyaki, Oita, Usuki Prefecture, Japon

carte du Japon des ceramistes japonais