Chapitre 1 : le tournage
Faire savoir les savoir-faire
Façonnage, modelage, pincé, colombin, plaque, estampage, tournage, engobe, émaillage, biscuit, cuisson en réduction, cuisson en oxydation… Découvrez nos articles interviews autour des différentes techniques et étapes de la fabrication céramique. Pour mieux comprendre le travail parfois énorme qu’il y a derrière un objet. Pour mieux appréhender le temps que prend la fabrication de chaque pièce. Parce qu’avec le savoir et la connaissance on apprécie mieux chaque chose.
En discutant avec une céramiste d’une pièce qu’elle avait faite pour nous et du temps qu’elle avait mis pour fabriquer cette pièce unique, nous nous sommes rendues compte que nos clients ne pouvaient pas toujours deviner ce qu’il y avait derrière l’objet. Nous avons dès lors décider de faire savoir les savoir-faire à travers plusieurs articles déroulant le vocabulaire et les étapes de la fabrication d’une pièce, mais aussi présentant le témoignage plus personnel d’artisans passionnés.
Cet article sur le tournage, une des techniques de montage d’une céramique, est le premier de notre série Faire savoir les savoir-faire !
Les pièces fabriquées au tour sont produites sur un tour de potier. Le céramiste part d’une balle de terre qu’il place au milieu d’un tour. Ce tour « propulse » l’argile vers l’extérieur et le céramiste se sert de ses mains pour la centrer, la contrôler et la façonner en fonction de la force qu’il lui donne. La vitesse du tour peut être contrôlée grâce à une pédale (s’il est électrique, et grâce à la force de la jambe s’il est manuel « s’il s’agit d’un tour à pied »). Cette technique est souvent utilisée pour produire des pièces symétriques comme des bols, des assiettes, des vases…même si elles peuvent être détournées par la suite.
Les étapes du tournage sont les suivantes :
– Pesée et préparation de balles de terre par le pétrissage
– Montée d’une « quille » pour éliminer les éventuelles bulles et pour centrer la terre grâce à la force des mains et à un engagement corporel important
– Perçage de la balle de terre
– Montée de la terre et mise en forme de la pièce
– Finitions du bord et lissage à l’estèque
– Sortie de la pièce du tour
Pour terminer une pièce tournée, l’étape du tournassage est essentielle. Une fois que la terre s’est un peu raffermie et a la consistance « cuir » (c’est à dire qu’elle est ni trop molle, ni trop dure) le céramiste peut la retravailler. Il peut enlever les excédents de terre, lisser et tirer la ligne de sa pièce ainsi que sculpter un pied. La pièce est alors prête pour le séchage avant d’être cuite une première fois. Après cette première cuisson à basse température (980°), la pièce est émaillée puis recuite à haute température (de 1230° à 1280°). Ce n’est qu’au bout de toutes ces étapes qu’un objet en terre devient un objet céramique.
Si la technique en elle même peut-être définie de manière précise et théorique, elle n’existe que par son application et se fait donc inévitablement apprivoiser par l’artisan. Chaque artisan a sa façon de mettre en pratique donc, avec son histoire, ses goûts et affinités personnels, son physique aussi. Nous avons mis chaque technique à l’épreuve du témoignage et avons invité des artisans à nous parler de celle qu’ils aimaient le plus. Pour ce premier chapitre, la céramiste Fernanda Justina (www.temps-de-terre.com) raconte son amour pour le tournage.
« Je suis Fernanda Justina, céramiste installée à Paris. Je fabrique au tour de potier des objets utilitaires et décoratifs pour la table, pour la maison et pour les plantes. J’explore le grès blanc, le grès noir et la porcelaine. J’aime établir des ponts, des dialogues entre les différentes terres et certains émaux, ou encore jouer avec les textures et laisser la terre dire son dernier mot. Chaque pièce est conçue et façonnée dans un esprit purement artisanal, alliant qualité et singularité.
Le tournage comme technique de façonnage s’est presque imposé. Le tournage a quelque chose d’envoûtant et j’ai été d’abord envoûtée… il s’agit ici d’une pratique hautement technique basée entièrement sur les sensations, le coté rationnel n’a pas beaucoup de place. Cette technique me ramène à l’instant présent et elle me permet d’être en communion avec ce matériau si vivant qu’est l’argile. Ce sont deux conditions privilégiées pour créer.
Ce qui est difficile au départ avec le tour, mais qui devient une habitude dans le processus de travail c’est d’accepter que la maîtrise prend du temps et que ce temps il faut le prendre. La satisfaction est là quand le tournage de la terre devient un dialogue: je dis quelque chose à la terre avec un geste, une pression et elle me répond en prenant forme, en allant là où je lui ai demandé d’aller. La satisfaction est là quand nous sommes francs avec la terre, avec la franchise du geste, car la terre ne triche pas, elle nous apprend tout si nous apprenons à l’observer. Ce qui m’émeut c’est la capacité de transformation de la terre, elle démarre en début de tournage en forme de motte et peut devenir tout autre chose imaginée ou rêvée par celui qui la tourne, c’est un matériau généreux et réceptif. J’aime chaque étape du façonnage au tour, mais le geste de dérouler la terre reste quand même le Saint Graal… »
Crédits photos et vidéos: Hannah Blacksmith, Judith Vibert-Guigue pour nous, Maeva Allio pour nous, Fernanda Justina